mardi 24 septembre 2013

En Suède, la police a fiché des milliers de Roms

Depuis 2012, la police suédoise a fiché 4 029 Roms, dont un millier de mineurs, alors que le fichage ethnique est illégal en Suède. Cette révélation du quotidien Dagens Nyheter, lundi 23 septembre, fait scandale en Suède. L'incrédulité l'emporte souvent. "Ce à quoi nous assistons est une catastrophe nationale" a réagi une éditorialiste du journal. La ministre de la justice Beatrice Ask s'est déclarée "en colère". Deux députés suédois parlementaires européens ont réclamé que le sujet soit débattu à Bruxelles, estimant qu'il s'agit clairement d'un crime contre la Convention européenne des droits de l'homme.




La police suédoise a mis au point un fichier illégal contenant les noms de plus 4 000 Roms suédois. Un quart des personnes fichées sont des enfants.

La police a immédiatement réagi à l'enquête Dagens Nyheter en déclarant qu'il s'agissait vraisemblablement de l’œuvre d'un policier du commissariat de Lund, dans le sud de la Suède. Au cours d'une conférence de presse lundi après-midi, un responsable de la police a rapporté que ses services portaient plainte afin de faire toute la lumière sur ce fichier informatique.
"Le fichier a été créé en 2011, en lien avec un conflit entre criminels", a déclaré un représentant de la police lundi après-midi, "mais la collecte d'informations avait dû commencer bien avant".
Créé par la police de Lund, en Scanie - une région au sud du pays - le fichier indique également les liens entre les personnes fichées. Il est accessible aux agents des autres départements ainsi qu’à la police criminelle, précise le journal, selon lequel le fichier contient le nom de nombreuses personnes qui n’ont jamais été coupables d’aucun délit. Il inclut des noms tels que le chef de l’Association de la jeunesse Rom, et ceux de certains athlètes, politiciens et membres de la scène culturelle rom.

Ce n'est pas seulement l'injustice sociale générale subie par les Roms en Suède dont il est question. Ces pratiques violent de façon systématique les droits civiques des Roms. Cette violation a commencé au début des années 1900 contre les Roms alors considérés comme apatrides. C'est ce qu'évoquent les journalistes Karl-Axel Jansson et Ingemar Schmid, dans leur article extrait de l'anthologie "Un Peuple à travers le temps" (Living History Forum, 2007).

Les faits cités dans l'article sont tirés de documents de recherche, rassemblés pour la réalisation d'un documentaire, "The Long Road", diffusé sur SVT en 2002, et racontent l'existence d'un précédent registre consacré aux Tsiganes, dans les années 1950, en Suède.

Plus d'un millier d'enfants illégalement enregistrés


La police suédoise a illégalement enregistré dans une base de donnée nommée  Romanis 4.029 noms à travers tout le pays. La base de données est utilisée dans le travail de la police et peut être consultée par un grand nombre d'employés. 


Plus d'un millier de personnes citées dans le document sont mineures. 52 fiches désignent des enfants âgés d'un an ou moins. Ils sont sur ​​la liste pour une seule raison : ils sont nés dans des familles roms.

Ce fichier n'est pas un casier judiciaire. La plupart des adultes n'ont jamais été reconnus coupables d'aucun crime. Mais le document identifie les liens familiaux. Avant tout, il s'agit d' un registre basé sur l'ethnicité.

«Les voyageurs» est le titre de ce fichier, qui contient un fichier appelé "Total". C'est un arbre généaologique  de 4.029 personnes à travers toute la Suède.

Les hommes et les garçons sont représentés par un personnage bleu. Les femmes et les filles un personnage rouge. A côté de chacun figure le nom, le numéro d'identification nationale et l'adresse où réside la personne. Des flèches indiquent qui est lié à qui. L'objectif du service de police était de créer un catalogue des Roms en Suède, consultable par d'autres services.

Dans le fichier, les personnes les plus âgées sont  décédées. Elles sont nées à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Parmi elles se trouvent Josef Taikumer, né en 1894, Olga Demeter, née en 1901 et Georg Taikon, né en 1909.

Les  enfants ajoutés à la liste en 2011 étaient âgés de un à quelques mois. 842 des enfants enregistrés sont nés au cours du 21ème siècle. Le fait qu'ils n'ont pas atteint l'âge de la responsabilité pénale n' est pas pris en compte. 

Le registre a été créé par le département de police de la ville de Lund, et il est géré par le district de la police de Skåne. D'autres services ont néanmoins accès au catalogue : la police criminelle nationale, la police judiciaire régionale de Scanie et les services policiers d' autres districts peuvent également accéder au fichier

Documents issus du Registre Z,
un fichier des Tsiganes résidant en Suède
établi dans les années 1950.
Le journal a confirmé qu'au moins 70 employés de la police sont autorisés à consulter le fichier, mais le nombre de personnes y ayant accès est probablement beaucoup plus important. Il a également été envoyé par courriel à certains employés qui ne sont pas autorisés à y accéder.

Le seul lien commun entre les personnes enregistrées, c'est qu'ils soient Roms ou aient une relation avec la communauté ou la culture rom. Elles vivent dans différentes régions de Suède : 528 personnes à Stockholm, 380 à Göteborg, 733 à Malmö, 165 à Lund rt 103 à Helsingborg.

Le document enregistre les enfants de toutes les villes du pays. 

Le registre n'est pas une relique du passé. Il s'agit d'un document en usage aujourd'hui. 

Les données informatiques de la police indiquent que le catalogue a été créé en 2012, mais la collecte et le tri des renseignements personnels était probablement en cours depuis des années.

La police utilise le fichier comme une sorte d'encyclopédie utilisable pour une enquête pénale si un Rom est soupçonné.

Le fichage ethnique est illégal en Suède. Le journal a consulté plusieurs avocats qui confirment que le fichier est en infraction avec plusieurs lois du code pénal suédois. Le fichier, qui contient des relations personnelles, des adresses et des informations, peut également constituer une violation de la Convention européenne des droits de l'homme, article 8, qui prévoit le droit au respect de la vie privée et ceux de la famille.

Plusieurs personnes, dont les données personnelles sont fichées ont été interrogées. Elles n'avaient pas la moindre idée de la raison pour laquelle elles et leurs enfants avaient été enregistrés. 
Certaines étaient choquées et en colère, d'autres tristes mais pas vraiment surprises. "C'est ce que Hitler avait fait. D'abord, ils nous a inscrits dans des listes. Puis il s'est débarrassé de nous », explique un homme de 44 ans, Marcello Demeter, dans Skarpnäck, au sud de Stockholm. Lui, ses enfants et ses petits-enfants sont tous dans le registre.

Texte original de Niklas Orrenius, traduit du suédois et de l'anglais par Catherine Raffait

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